«C’est le désert complet en matière de protection des populations de la radioactivité», expliquait en 2012 à France Culture Many Camara, professeur de sociologie, originaire de la commune de Faléa au Mali. Les lourdes machines de la firme canadienne Rockgate Capital Corp avaient pourtant déjà réalisé plus de 150 forages dans cette région reculée du pays, à la suite d’un mandat d’exploration de l’uranium délivré en 2007 par le gouvernement malien. L’association des habitants et des amis de Faléa (ARACF), que préside Many Camara, craignait que les populations soient déjà exposées aux rayonnements cancérigènes et avait pu constater des contaminations aux produits chimiques sur plusieurs sites. Aujourd’hui c’est le soulagement. La société qui a depuis racheté Rockgate, Denison Mines, canadienne elle aussi, s’est retirée du site à la fin 2014.
Que s’est-il passé?
A ce stade, aucune information précise n’a filtré. Mais deux éléments ont sans doute pesé. D’un côté, les cours de l’uranium se sont effondrés depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon en 2011. L’arrêt complet des réacteurs japonais pour une durée indéterminée a fait progressivement chuter les prix de la matière radioactive.
D’autre part, la résistance des habitants de la région, favorisée par le travail d’organisation de l’ARACF, s’est révélée gênante, autant pour l’entreprise minière que pour le gouvernement malien. Les initiatives citoyennes se sont rapidement multipliées. Avec l’aide du Forum civique européen, le laboratoire associatif français de recherche sur la radioactivité CRIIRAD a été sollicité pour établir une cartographie des niveaux de radioactivité dans la région. La Ville de Genève a notamment financé ce projet qui nécessitait l’achat de compteurs Geiger de mesure de la radioactivité.
Le but de l’ARACF était aussi d’informer la population des conséquences potentielles de l’établissement de mines d’uranium à Faléa: accaparement de terres, contamination de l’air, des sols et de l’eau, destruction de la flore et de la faune, épuisement des ressources en eau, leucémies et cancers, etc. Une radio communautaire locale a vu le jour dans ce but, avec l’aide financière du canton de Genève cette fois, pour un volet formation et traduction dans les quatre langues locales.
L’ARACF a aussi organisé une assemblée des maires et des chefs coutumiers de la région, qui, à l’issue de leur rencontre, ont signé un mémorandum demandant au gouvernement malien de retirer les concessions d’explorations.
Informer les villageois s’avérait d’autant plus cruciale qu’une «fenêtre démocratique» allait s’ouvrir avant que les premiers sites d’uranium puissent être exploités, indiquait Many Camara: une consultation publique devait être tenue en vertu des lois maliennes. «Informés sur l’impact de l’uranium sur leurs vies, les habitants ne se seraient pas laissé bernés par les promesses d’emploi, de désenclavement et de développement de la région». Parallèlement, en 2011, des eurodéputés se sont rendus en visite à Faléa et ont rencontré à Bamako le président malien Amadou Toumani Touré. Ce dernier leur aurait promis de stopper le projet avant de se dédire par la suite. Par ailleurs, une conférence internationale sur l’uranium a été mise sur pied par les milieux antinucléaires en 2012 à Bamako.
L’ARACF, elle, ne se contentait pas de lutter contre les rayonnements radioactifs. Depuis 2001, elle aide les résidents de Faléa à améliorer leur quotidien. Comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, le gouvernement malien a récemment débloqué le dossier du bac automoteur qui permettra de traverser la rivière à la saison des pluies, et ainsi désenclaver la région. L’association a aussi pu mettre à disposition de la commune un véhicule 4×4 pour les évacuations sanitaires et a lancé un projet pilote de développement de la filière bambou.
Les villageois devront toutefois rester vigilants face l’éventualité d’une reprise de l’exploration minière le jour où les prix de l’uranium prendront l’ascenseur. Mais Hannes Lämmler, du Forum civique européen, se montre confiant: «Il ne se passera rien dans les prochaines années. Il y a une surcapacité de production d’uranium dans le monde. Quatre cents vieilles centrales devront être démantelées dans les vingt prochaines années. Le nucléaire n’en a pas finit de poser problème.»
Christophe Koessler
Article paru dans le Courrier (sans images) le 13 janvier 2015